samedi 26 octobre 2013

Nos morts.



Nos morts.


Ils gisent dans le champ terrible et solitaire.

Leur sang fait une mare affreuse sur la terre ;

Les vautours monstrueux fouillent leur ventre ouvert ;

Leurs corps farouches, froids, épars sur le pré vert,

Effroyables, tordus, noirs, ont toutes les formes

Que le tonnerre donne aux foudroyés énormes ;

Leur crâne est à la pierre aveugle ressemblant ;

La neige les modèle avec son linceul blanc ;

On dirait que leur main lugubre, âpre et crispée,

Tâche encor de chasser quelqu'un à coups d'épée ;

Ils n'ont pas de parole, ils n'ont pas de regard ;

Sur l'immobilité de leur sommeil hagard

Les nuits passent ; ils ont plus de chocs et de plaies

Que les suppliciés promenés sur des claies ;

Sous eux rampent le ver, la larve et la fourmi ;

Ils s'enfoncent déjà dans la terre à demi

Comme dans l'eau profonde un navire qui sombre ;

Leurs pâles os, couverts de pourriture et d'ombre,

Sont comme ceux auxquels Ézéchiel parlait ;

On voit partout sur eux l'affreux coup du boulet,

La balafre du sabre et le trou de la lance ;

Le vaste vent glacé souffle sur ce silence ;

Ils sont nus et sanglants sous le ciel pluvieux.


Ô morts pour mon pays, je suis votre envieux.


Victor Hugo.

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